dimanche, mars 18, 2007

Vinnie

15H00. Je suis allé voir Paul au café en face. Il a l'air assez dérangé. Je m'assieds en face de lui ; je commande une liqueur à la cerise. Paul tourne nerveusement la cuillère dans son café. Son attitude commence à déteindre sur moi : je tape répétitivement ma jambe droite sur le sol. En buvant une gorgée de son café, Paul me raconte que sa mère s'est suicidée. Elle a allumé le gaz du four et y a jeté une allumette. Je fixe son bras droit : il le gratte avec force, son eczéma lui joue des tours. Dû au stress je présume. Ah ! Ma liqueur. Je l'ingurgite d'un coup et laisse Paul sur un "A ce soir", puisqu'on doit jouer à notre partie d'échecs de la semaine.

15H25. J'achète le journal chez le vendeur près du bar. Le suicide de la mère de Paul figure dans les faits divers.

15H27. Je rentre dans mon appartement. Je reçois un coup de fil de mon éditeur. Sa voix gronde dans toute la pièce. Il dit qu'il en a assez d'attendre que je finalise mon livre. Disons qu'il a un peu raison, cela doit faire deux ans et demi que j'ai dit que je devais le terminer. Avec de la motivation, je devrais achever mon travail après la partie d'échecs.

15H59. J'ai réussi à réparer le lavabo ! Depuis des mois j'ai lutté pour qu'il ne coule plus. Aucun plombier ne pouvait me rendre service, j'ai dû me débrouiller seul.

16H05. L'émission sur mon quartier commence. Le but est de promouvoir des personnalités de notre vie, telles que le facteur borgne, ou la concierge, ex-camioneuse. Le présentateur porte des vêtements maussades, le ton de sa voix est cruellement mauvais et son regard totalement vide. Si ce n'était pas mon quartier, j'aurais zappé à cause de ce pauvre hère.
D'un côté, il me rappelle Paul.

17H35. L'émission se termine. Je n'ai rien appris de neuf sur mes voisins, cependant je suis persuadé qu'on aura un bon nombre de visiteurs prochainement. C'est une bonne nouvelle pour moi, je trouve qu'il y a peu de monde ici, comme si la fin du monde était à la sortie de la ville.

18H00. Le jour s'achève, la lune a pointé son nez au-delà de la grande tour en face. Lorsqu'elle est pleine, la tour paraît s'illuminer. Et dire que j'y ai travaillé cinq ans...

19H03. On sonne à la porte. C'est Paul. Il est toujours aussi mal. Je lui ouvre la porte et prends son manteau. En l'accrochant, je sens un flacon de médicaments. Dessus, je lis : "Antidépresseurs". Paul ne se sent vraiment pas bien.

19H20. Après un bref repas, nous nous mettons aux échecs. Paul est très fort dans ce domaine. [...] En mettant en pièces mes tours et ma reine, il esquisse un sourire. Je suis satisfait de perdre si ça peut redonner le moral à un ami. Paul est si émotif.

22H36. Echec et mat. Paul m'a facilement terrassé. Heureusement pour moi, je suis plus fort que lui au poker. On devrait appeller Eric, David et Barbara pour continuer la soirée, si seulement je n'avais pas à finir mon livre. Je raccompagne Paul jusqu'à l'entrée du bâtiment. Il apparaît plus gai.

22H39. Sur la table d'échecs, j'aperçois son flacon de pillules. Pas besoin de l'appeller, je lui ramènerai ses calmants demain après-midi.

23H33. Le téléphone sonne. A cette heure, je n'attends personne, mes amis préfèrent m'appeller plus tôt. Je choisis de ne pas décrocher, ça doit être un solitaire en manque d'amitié ou une agence étrangère qui effectue un sondage sur les chips.

23H35. Le téléphone sonne encore. Je suis certain que c'est la même personne qui a appelé précédemment. Elle doit être désespérée.

23H37. Le téléphone sonne à nouveau. Je ne peux pas continuer à travailler si cette machine fait du bruit. Cette fois, je décroche.
Allô ?
- Fermez vos fenêtres.
- Qui est à l'appareil ?
- N'attendez pas un instant et fermez vos fenêtres !
- Allô ? Allô ? Qui est à l'appareil ?

L'interlocuteur a raccroché. Sa voix ne m'est pas familière. Son ton était énergique, comme s'il y avait urgence que je ferme mes fenêtres... Je replace le téléphone et me remets à mon livre.

23H41. Le téléphone recommence à s'agiter ! Cette fois, je prends l'initiative.
Ecoutez, je ne sais pas qui vous êtes, mais je ne fermerai pas les fenêtres parce que vous m'en donnez l'ordre. Je suis libre, que diable ! Laissez-moi en paix.
Et là, subitement, j'ai eu le sentiment d'avoir commis une grossière erreur.
- Vous jouez avec le feu. Bonne soirée.
Je ne saisis pas pour quelle raison je "joue avec le feu". En tout cas, j'ai une nouvelle idée pour ma fin. J'espère que ça surprendra à la lecture.

23H50. J'ai rapidement tapé la dernière page. C'est assez troublant. A ce moment-là, je me croirais dans ma propre histoire, en train de me voir agir et penser, comme mon fantôme qui examine mon vivant.

23H59. Fier de moi, je me prépare à ranger cette page dans mon dossier. Je dois prévenir Bob demain matin qu'il doit envoyer cela à mon éditeur, sinon adieu ma paye. En me tournant, je remarque quelque chose d'étonnant.

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